Encouragés par quelques sites internet, notamment l’article de Cass Gilbert sur bikepacking.com et celui de Becks Timbers sur TwoWheeledWanderer, nous nous sommes embarqués dans l’aventure hike-a-bike de la boucle de l’Ausangate. Nous savions que ça allait être difficile mais, nous pensions que notre organisation et notre préparation allaient nous sauver. Spoiler : que dalle!

Ça, c’est la théorie: 89km autour du Nevado Ausangate et une descente vers Rainbow Mountain (Vinicunca) et la Valle Rojo. 3 cols à 5000m d’altitude à passer: Campa pass, Apuchata pass et un troisième. Un hike-a-bike noté 8/10 sur le site de bikepacking.com. 8 jours, c’est le temps qu’on s’était donné pour réaliser cette boucle.
Après quelques jours à Pitumarca à faire des stocks de nourriture, nous montons et passons une nuit à Chillca afin de s’acclimater à notre premier 4600m d’altitude. C’était la première fois que nous étions au-dessus des 4100m. Déjà le lendemain, ce n’était pas facile: Cassandre ne se sentait pas au top, les jambes faibles. L’effet de l’altitude : la récupération physique n’est pas à son maximum. Le 2e jour, nous nous sommes dirigés vers le camping au pied du 1er col. Nous avons décidé de nous arrêter tôt et de passer l’après-midi à récupérer, à se reposer avant d’attaquer le col le lendemain. Une tienda est disponible, avec quelques articles à vendre, du wifi, des toilettes et des douches, à l’eau froide bien entendu.


La 3e journée, nous nous attaquons au col Campa : 5km, 400m de dénivelé, ça semblait si peu… et pourtant. Nous commençons par passer presque 1heure à traverser une espèce de pelouse/mousse très humide dans laquelle nos pneus s’enfoncent profondément. 1 heure à pousser fort, soulever nos vélos de presque 45kg chaque. Ensuite, le sentier apparaît et très vite, les choses se compliquent: les montées sont tellement raides que nous devons allier nos forces et pousser les vélos l’un après l’autre. L’altitude brûle le corps, les jambes sont sciées, le souffle est court. Nous devons nous arrêter tous les 5 pas. Vers 12h, un ciel noir s’en vient vers nous: on entend le tonnerre, les éclairs se rapprochent. Nous déjeunons près d’une petite maison d’un berger, au cas où nous devons nous réfugier et éloigner nos vélos en acier. Les éclairs s’éloignent, nous décidons donc de reprendre notre ascension et d’avancer. C’est alors que la grêle s’abat sur nous. Manquez plus que ça! 3 heures durant. Non stop. La température chute. Nous nous couvrons. Pour autant, nos mains et nos pieds gèlent. Pousser les vélos sur le sentier était déjà difficile, mais avec les grêlons qui te fouettent le visage, c’est tout une épreuve… Nous poussons, des heures et des heures durant. Épuisés physiquement, nous nous disons constamment : « on doit passer le col ». Quand l’un commence à flancher, l’autre pousse. Nous devons passer ce col. Avant la nuit. Avant le froid.



Par moment, je (Cassandre) suis prise d’angoisses : aucun plat autour de nous, aucun moyen de poser la tente, la nuit va tomber, la neige va potentiellement s’en venir, le sentier déjà si difficile à repérer par moment va disparaître. Et la roche éboulée sur notre gauche, on en parle? La peur me fait avancer. Je pousse Karim qui manque d’air, qui commence à plier sous les efforts immenses déployés lors des poussées des vélos. Car même si on poussait à 2, il était à l’avant, au guidon, donc à devoir soulever l’avant pour passer les immenses roches. Je le pousse: « allez, on doit passer ce putain de col, lâche pas ».
Nous arrivons à 5000m d’altitude, au col Campa. La descente est censée être là. À nos pieds. C’est le GPS qui le dit… Pour autant, on voit le sentier continuer à monter. Le soleil commence à décliner derrière les montagnes. Nos espoirs de passer le col, avec. Je regarde mon cellulaire : 17h. En un regard, la décision est prise: nous n’avons pas le choix de dormir là. À 5000m. Rapidement: défaire les affaires, monter le camp, cuisiner et se mettre dans nos duvets. Très rapidement! Avant que la température chute. Nous sommes épuisés, autant physiquement que mentalement. Pour autant, un espèce d’instinct de survie se met en marche. Sans nous parler (nous sommes trop épuisés pour ça!), nous nous organisons. L’orage revient… Les éclairs, le tonnerre. Nous éloignons les vélos de la tente. Je demande à Karim: « à combien de mètres devons-nous mettre les vélos? ». Il m’explique qu’une fois, il a vu la foudre s’abattre sur un terrain de foot pendant un match et tous les joueurs ont été touchés. Je déglutis. On n’a pas assez d’espace plat pour poser les vélos aussi loin de nous. On les met au pied des éboulements. Et nous prions pour que la foudre ne frappe pas en notre direction… En face de nous, de l’autre côté de la vallée, un immense bruit: des avalanches. Nous assistons à 2 avalanches consécutives, dans un bruit fracassant à tout faire trembler. Je suis morte de peur et je me dis qu’on va mourir, soit sous un éboulement, soit foudroyés…
Une fois dans nos duvets, nous sommes tout de même soulagés: nous avons du bon matériel, nous n’avons pas froid. Et au final, nous avons très bien dormi, de 19h30 à 5h du matin, assomés par l’effort physique, éclairés par l’orage qui a grondé une bonne partie de la nuit.

Le lendemain matin, tout est gelé. Et l’altitude nous frappe sévèrement au réveil : essouflés, nous sommes lents, très très lents. Chaque geste prend énormément de temps: s’habiller, ranger les affaires, cuisiner.
Devant nos tasses de thé fumantes, nous faisons le point. Ausangate, c’est censé être 8 jours avec 3 cols à plus de 5000m d’altitude. Hors de question de revivre la même journée que la veille à plusieurs reprises. Nous avons atteint nos limites. Et surtout, la météo annonce de la neige dans les jours à venir… Alors, très vite, une décision s’impose: faire demi-tour. Nous avons préféré la sécurité et l’humilité à l’ego. La haute montagne, ça peut ne pas pardonner… Nous sommes redescendus, sous un soleil radieux, heureux tout de même de cette expérience mais avec une pointe de regret de ne pas avoir tout simplement marché. Sans nos vélos. C’est un trek. Qui est fait pour être marché. Il n’y a pas grand chose de cyclable et les conditions changeantes de la haute montagne peuvent rendre l’expérience hike-a-bike très rapidement dangereuse. Il s’agit là de notre avis personnel, bien entendu…
On concède qu’on était chargés et lourds. Toutefois, même plus légers, je ne pense pas que nous aurions été capables… Et surtout, comment s’alléger? Comment laisser des affaires de côté (à Pitumarca) alors qu’on se dirige vers de la haute montagne, où les conditions peuvent changer en une fraction de seconde? La seule réponse est d’avoir fait un important investissement dès le départ, avant le voyage, et d’avoir du matériel ultra light. Et la nourriture? La boucle d’Ausangate est isolée, il n’y a pas de réapprovisionnement. Pédaler le ventre vide? Meilleur moyen de se mettre encore plus en danger.
Nous avons fait plusieurs rencontres intéressantes. La 1ère, 2 autres cyclovoyageurs partis devant nous pour Ausangate loop en 3 jours. Ils nous ont dit que la descente par après était impossible à biker: petit sentier, à flanc de montagne, sur de la grosse rocaille. Ça aurait pu même être dangereux avec nos vélos chargés. 2e rencontre, lors de notre descente, un allemand qui voyage à vélo depuis 2 ans. Il est très surpris de nous voir avec nos vélos, alors que lui est à pied. Après que nous ayons déversé notre colère envers le site internet bikepacking.com, il nous dit que le gars qui a fait cet itinéraire est un athlète pro et surtout, sous-estime les itinéraires qu’il publie. Je fulmine…
Nous avons eu beaucoup de regrets d’être partis avec nos vélos. Nous n’aurions pas dû nous fier à ces sites internet de Gringos et nous aurions dû écouter les locaux lorsqu’ils disaient: « Es un camino. Para caminar. » Parfois, il est ok de lâcher son vélo et de revenir à la forme la plus humble de se déplacer, celle qui a des millénaires, la marche.





